Si la mer est un espace masculin, où les hommes dominent le secteur de la pêche, sur terre, le commerce du poisson intéresse autant les femmes que les hommes. Ces dernières ont d'ailleurs sur certaines plages le monopole de l'activité.
Sur la plage de Ouakam, Rokhaya est la présidente des bana-bana*. A Yoff, les vendeuses de poissons sont davantage organisées, et immatriculées. Elles accèdent au rang de mareyeuses.
https://youtu.be/OdvsC80DIzQSur la plage de Ouakam, Rokhaya est la présidente des bana-bana*. A Yoff, les vendeuses de poissons sont davantage organisées, et immatriculées. Elles accèdent au rang de mareyeuses.
* Bana-bana : mareyeuse non enregistrée.
* Tànk : pied en wolof, nom de l'union des trois premiers villages lébous
de la Presqu'île : Yoff, Ngor et Ouakam.
* Rab : génie tutélaire.
* Ndöep : cérémonie organisée pour soigner la folie, les transes, la possession
par les génies par des offrandes et autres sacrifices.
Les femmes sont aussi présentes dans d'autres activités plus surprenantes : la plongée sous-marine.
Seuls les hommes pratiquent la plongée sous-marine au Sénégal, sauf à Ngor.
Une plongeuse de la Pointe des Almadies nous parle de son activité :
Je m’appelle Awa Mbengue dite ‘Diaga’, je suis plongeuse.
Mes parents sont nés à Ngor et moi aussi. J’ai grandi ici. Je plonge depuis mon
enfance. Aujourd’hui j’ai 52 ans. C’est ma seule activité. J’ai étudié jusqu’en
classe de CM2.
Nous travaillons pour notre propre compte. A Ngor, nous
sommes des femmes indépendantes. D’ailleurs je rêve d’apprendre à conduire et
qui sait, avoir ma propre voiture pour transporter mes oursins et
autres produits.
Nous n’attendons rien des hommes.
Le tourisme, les villas luxueuses et autres que l’on note
aux Almadies et à Ngor ne nous regardent pas. Nous ne voulons dépendre de
personne. Le Lébou est fier. On n’a pas besoin de faire du porte à porte pour
demander de l’aide aux gens riches. Nous préférons que l’on nous aide à
développer notre travail pour nourrir nos
familles.
Le village de Ngor devient de plus en plus étroit donc les
gens commencent à se procurer des terrains ailleurs. Mais cela n’empêchera pas
au peuple Lébou d’être toujours soudé. C’est un don de Dieu. Nous n’hésitons
jamais à offrir notre aide et notre hospitalité. Sur ce point là nous sommes
différents des gens de Dakar qui ont tendance à devenir de plus en plus
individualistes. En plus, nous donnons beaucoup d’importance à l’autorité : le moins âgé respecte toujours son aîné. Nous avons été éduqués comme ça, et
c’est notre fierté.
Tout les Lébous sont parents. Le ‘Tànk’* même signifie
cela. Les Lébous des différentes localités entretiennent de très bonnes
relations.
Le langage est le principal aspect qui différencie le Lébou
des autres dakarois.
Je crois en l’existence des ‘Rabs’*, j’ai même une
pièce réservée pour ça dans ma maison. C’est ma petite sœur qui s’en occupe.
D’ailleurs bientôt elle devra faire une offrande pour
perpétuer la tradition puisque ma tante qui s’en occupait avant elle l’a fait.
Le Rab de ma famille s’appelle ‘Malikoum Soumbor’. Il y a également un Rab ici
sur la plage. C’est sa route.
Nous conservons encore nos lieux de sacrifices. Le
’Terrou-Bi’, bien qu’étant un domaine privé, reste un lieu sacré et nous y allons
pour faire nos offrandes. Personne ne peut nous l’interdire. Toute personne qui
défie les génies en subit les conséquences. Par exemple l’hôtel là, le Club Med,
il leur avait été demandé il y a tout juste 2 mois de faire des offrandes aux ‘Rabs’
mais ils ne l’ont pas fait et cela a provoqué un incendie. Ce que nous
considérons comme la manifestation du mécontentement de génies. Ils peuvent
aussi parfois se présenter à certaines personnes.
Même si tous les Lébous quittaient Dakar, les génies resteraient.
Ils sont rattachés au lieu.
Je suis musulmane pratiquante et je fais partie de la
confrérie des ‘Tidianes'. Dieu c’est Dieu, nos croyances mystiques n’affectent
en rien notre croyance religieuse. Nous respectons tout ce qu’il nous est
demandé de faire en Islam.
Il y a une grande controverse concernant le fait que l’Islam
interdit ces pratiques mystiques. Je pense que c’est relatif car la religion
musulmane interdit seulement les choses qui peuvent empêcher de la pratiquer
correctement. Donc je pense que faire une séance de ‘Ndöep’* pour une personne malade dans le but
qu’elle guérisse et soit en mesure de pratiquer l’Islam sans problème, ne
pourrait être condamné par l’Islam.
En ce qui concerne la mer , c’est plutôt un espace masculin
car lorsqu’elle devient agitée nous n’y allons pas. Par contre les
hommes y vont toujours et plus facilement avec leurs pirogues.
D’ailleurs si
nous avions les moyens de nous procurer une pirogue nous pourrions nous passer
de payer de 1000 Fcfa par exemple pour qu’ils nous fassent traverser , car l’une
d’entre nous sait naviguer. Elle ne l’a pas appris, sauf qu’à force de s’amuser
à naviguer sur la plage elle sait maintenant comment s’y prendre et
pourrait le faire.
D’ailleurs, il ne devrait pas y avoir d'inégalité entre les
hommes et nous, du moment que lorsque nous allons en mer chacun fait son
travail. On ne se soucie pas du genre.
Notre différence réside seulement dans la façon de
travailler. Les hommes se servent de bouteilles par exemple pour plonger alors
que ce n’est pas notre cas. Ils se servent aussi de combinaisons équipées de
ceintures de plomb qui sont trop lourdes pour nous. Ce qui fait que
les hommes pêchent beaucoup plus que nous et des espèces rares aussi, car ils ne
prennent pas les oursins et autres mais rapportent surtout du poisson. Quant à
nous, nous utilisons le tuba mais pas les palmes car nous ne sommes pas
habituées à ce genre d’équipement, nous mettons des chaussettes et des sandales
en plastique. Nous ne savons pas encore utiliser la bouteille. On nous avait
proposé d’apprendre cela mais nous ne nous en sentons pas capable. Nous n’avons
plus de force pour ça.
L’avantage que les hommes ont sur nous est qu’ils sont
capables de produire plus que nous.
Ils sont plus équipés que nous. Nous nous sentons quelque
peu exploitées. Car parfois on nous propose des marchés avec des rémunérations
qui n’en valent pas la peine surtout au sein du GIE qui nous utilisait et
s’enrichissait sur notre dos. Nous préférons donc nous en remettre à
Dieu et attendre d’avoir des marchés plus intéressants et vivre de nos ventes
quotidiennes.
Nous voulons du matériel plus sophistiqué pour améliorer nos
conditions de travail. Par exemple avoir des combinaisons. Ou alors avoir un
financement pour pouvoir investir dans autre chose car ce n’est pas tout le
temps que l’on peut plonger, parfois la mer est très agitée. On peut rester
parfois une semaine entière sans aller en mer et pendant tout ce temps il nous
faut nourrir nos familles.
Nous, les plongeuses de Ngor, nous fournissons également les
restaurants qui sont aux alentours. Nous leur vendons des oursins, des moules
et autres fruits de mer. Quand la plongée ne marche pas, nous
essayons tant bien que mal de nous entraider. Nous nous sommes organisées en
petit comité de plongeuses et nous nous soutenons mutuellement. Nous avons
aussi beaucoup de clients Chinois. De toutes les femmes Lébous, seules celles
de Ngor pêchent et pratiquent la plongée. C’est depuis les ancêtres. La plongée
est notre héritage culturel. Nous ne l’avons pas appris. C’est propre aux
femmes de Ngor. Celles d’Ouakam par exemple ne pêchent pas. Elles s’activent
plutôt dans la vente de poissons.
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